mardi 10 juin 2014

JOUR 5

S'il était possible de dormir sans jamais se réveiller. Mais s'endormir est si difficile et le sommeil si léger.


Sherlock Holmes se réveilla encore dans son fauteuil tenant son journal sur lui comme si c'était une couverture. Il y en avait d'autres sections par terre. Et sur ses pieds.

Et, plus loin, d'autres journaux. 

Avant que son cerveau se déconnecte - ce qui faisait toujours un bruit bizarre. Petit mais bizarre. Étrange.

Délicat.

Avec la sensation de tomber. 

L'image du précipice était toujours juste. Parfois, la sensation vertigineuse de la chute - et pourquoi cette sensation de tomber ? Puisqu'il était couché. Les connexions du cerveau se coupant trop franchement - suffisaient à le réveiller avec une brusque terreur. Absurde. Comme tout ce qui est organique. 

Comme il savait ce qui venait de se passer, il chassait ce sentiment. C'était une partie de son cerveau qui interprétait mal - pour on ne sait quelle raison - cette étape indispensable de la nuit et de son fonctionnement. Pourtant, il fallait que cet organe cesse d'exister totalement, ce qu'on appelle dormir. 

Les systèmes automatiques de contrôle du corps se mettraient ensuite en marche programmée. Le sang continuerait à circuler, le coeur à battre, au ralenti, les poumons à respirer, la digestion à se faire, lentement. L'essentiel. 

Comme certaines personnes amputées ont l'impression d'avoir encore un membre fantôme. Leur cerveau ne se résignant pas à cette perte. Ce bras avait fait parti de son anatomie durant des décennies et soudain il n'y était plus. Le cerveau savait pourquoi. Dans un coin de sa mémoire, il savait très bien. Mais dans un coin plus primitif, il ne l'admettait pas. 

Donc le cerveau hyperactif de Sherlock Holmes n'acceptait pas de disparaître même brièvement. Comme toutes ses pensées étaient amplifiées par sa puissance, il en était de même de cette étape de la nuit. 

Ce qui l'avait fait, très jeune, renoncer à dormir. Refuser le sommeil. Comme une faiblesse. Sans compter cette douleur. 

Cette terreur de tomber.

Mais il était alors trop faible pour dominer son cerveau qui le gardait prisonnier de son emprise. 

Il dû dormir. 

À un moment donné, il perdit conscience.

Et tomba dans le coma pendant des mois.

À son réveil - et il n'y avait aucune sûreté qu'il se réveille un jour - des parties de lui étaient mortes, d'autres s'étaient reconstruites. Modifiées. Au moins.

Comme le papillon était chenille et n'existait que par la décomposition et la liquéfaction jusqu'au stade du liquide de son corps précédent. Eau. Cellules. Atomes. Substances. Bave. ADN.

Il avait acquis de cette putréfaction une forme de synesthésie. Les informations recueillis par ses sens s'entremêlant. Il y avait 125 et il dut en subir une dizaine. 

On ne sait pas à quel point les êtres supérieurs sont éprouvés dans leur chair et leur esprit par rapport aux spécimen inférieur humain. Par eux, la Nature essaie des idées nouvelles. Se prépare à une nouvelle humanité. Qui un jour séparera les anciennes formes comme, jadis, l'ancêtre commun du singe et de l'homme divisa leur destin. 

Il est à espérer que l'homme du futur aura davantage pitié de ses frères inférieurs qui lui ont servi de marche-pieds au contraire du comportement des humains actuels qui ne cessaient de sa massacrer depuis des siècles. 

Dès qu'ils avaient l'impression qu'un peuple était inférieur, le goût du sang et de l'extermination et de l'exploitation leur prenait. Et ils saignaient, tuaient, exterminaient, exploitaient. 

Ils peuvent prier pour que lorsque le jour où arrive l'homme du futur, il ait autant de commisération qu'ils en ont eu. 

Peut-être par hygiénisme, pour ne pas se salir les mains, leur accordera-t-il une mort rapide?

Au contraire des humains actuels et passés qui adorent faire souffrir.

Mais le signe que la civilisation progresse - pour ceux qui cherchent ces signes - c'est que s'ils peuvent infliger les pires horreurs, ce sera toujours au nom de bonnes causes et de principes supérieurs. 

Ce qui différencie l'homme disons normal - on n'en est jamais vraiment certain - du malade mental pervers. Que les hommes de qualité moyenne appellent «criminel». Afin que l'on soit bien sûr qu'il n'a rien à voir avec eux. Alors qu'il n'est qu'eux privé de ses bons mots et judicieuses pensées. Le même monstre muni de réflexion morale sera un homme d'État, un chef religieux, un industriel. Généralement, il tue en groupe. Il peut même ne pas tuer lui-même déléguant cette corvée à ses adeptes. Contrairement au dégénéré moyen qui aime pourchasser sa proie et tuer seul. Il est donc nécessaire de bien différencier ces 2 sous-espèces de tueurs en série. Par un processus d'adaptation qui aura mis des millénaires à se perfectionner, on ne mettra en relief que ses bons mots et non ses menues erreurs. Ce sont les intentions qui comptent. On ne cesse de dire.

Un savant de sa connaissance estima qu'en 50 siècles, il y avait eu 15 000 guerres. 

Et Sherlock Holmes en déduisit naturellement, tout le poussant dans ce sens, que l'homme actuel et passé est un monstre. 

Et qu'il devait être toujours armé.

Sherlock Holmes croyait aux conséquences.

Comme il n'aimait pas les armes à feu - trop lourde pour sa constitution fragile - car tout n'était que cerveau chez-lui - le corps ne servant que comme le fait un appui-livre qu'à retenir une pile de livres - il préférait le couteau.

Les soldats et les policiers - spécialistes de l'étude et de l'usage de la violence - qui doivent étudier les dangers possibles savent que tout homme qui a un couteau est dangereux à 15 pieds et qu'il faut l'abattre à cette distance dès qu'il refusera de jeter son arme. Car s'il se lance à l'assaut, il aura atteint le tireur à mort même si celui-ci l'a déjà tué à force de tirer.

Contrairement à ce qu'on pense: les morts bougent.

Mais tous les gens ne sont pas des spécialistes et il s'était déjà sorti de situations déplaisantes en poignardant comme il le devait. 

À partir d'un certain moment, il faut accepter de mourir. Et d'être tué. 

À partir du moment juste avant, il faut accepter de faire ce qu'il faire afin de ne pas être tué si on ne désire pas l'être.

Sherlock Holmes aurait détesté un monde sans logique.

Et même si certaines personnes sont indifférentes à la vie et à la mort: l'idée de l'agonie et de la blessure irréparable qui s'infecte intérieurement et qui met un temps infini à vous tuer, vous fait pourrir organe par organe, les forcera eux-aussi à faire ce qu'il faut pour survivre.

Et il avait survécu à son aventure cérébrale.

Il avait donc acquis certaines facultés surprenantes ou inquiétantes. 

Ce qui l'avait poussé à étudier le phénomène comme il le faisait devant tout problème. 

Et un temps, il étudia soigneusement la femme avant de s'en désintéresser. Lorsqu'il su tout d'elles et qu'il se résigna à vivre seul. 

Quoique la capacité féminine de ranger et de nettoyer soit irremplaçable. Et, mystérieusement, ces êtres en tirent du plaisir. 

Il en engagea quelques-unes pour soigner son logis qui autrement aurait été encombré de livres et de poussières de livres. 

Il contribua ainsi au bonheur de quelques femmes. 

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